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TERRAINS DE JEUX


À mon quartier, le 11ème, et à tous les enfants et adultes voulant continuer à jouer



ÉCOLE COMMUNALE RUE LÉON-FROT - PARIS XIe ARRONDISSEMENT – ANNÉE SCOLAIRE 1958/1959

La cour de récrée. Du bitume, des murs épais et des marronniers géométriquement disposés. Banale reproduction carcérale des perspectives de la renaissance - antithèse des terrains de jeux. Premières expériences pénitentiaires, comme si l’espace moulé pouvait « encuber » nos esprits ? Ah voilà un élément chaotique intéressant ! Une masse de mômes s’empilant les uns sur les autres. Je me jette sans raison (et partageant visiblement la non-raison collective) sur le tas humanoïde - désir de participer au groupe dans son expression la plus débridée. Et me voilà récompensé par un mec en blouse de coton gris traditionnel (la mienne étant moderne en nylon bleu roi) qui me shoote son pied dans l’œil (je n’ai jamais su le pourquoi – peut-être un couturier en herbe hostile à la modernité). Je lui cours après, il se planque derrière un paquet de maitresses en conversation. Je n’ose pas le charger vu l’interdit des adultes. Alors je traine autour des femelles pédagogiques. « Maitresse, maitresse il m’a donné un coup de pied ». L’une d’elles se retourne avec son répertoire de regards, vaguement excédée, maternelle et autoritaire, me voit et pousse un hurlement. Je me retrouve à l’infirmerie, allongé, ingérant un rectangle de sucre contenant un liquide chaud. Je me réveille je ne sais combien de temps après. Ma vue sur l’œil agressé est décomposée comme celui d’un insecte - une sorte de prisme bleu nuit opaque. Ma mère sous le regard inquiet des professeurs se met à rire de mon spectaculaire œil au beurre noir.

Ayant voulu participer à ce territoire de jeux, pourquoi cet abrutit m’a agressé ? Pour m’exclure ? Pour m’inclure ? Mais alors comme sujet de sa pathologie ? Qu’il ait voulu m’associer ou m’écarter c’est en tant qu’objet de son histoire. Pas de la mienne ou de la nôtre. Refusant son acte j’ai réagi en cherchant à mon tour à l’agresser.
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